Il y a le merle de Claire. Oiseau singulier, plumage et ramage identifiés : le merle de Claire porte presque un prénom.

Il y a tous ces oiseaux inconnus, ou simplement incognito, qui signalent d’une manière ou d’une autre leur présence mais dont nous n’identifions ni les plumes ni le chant, et sont bien loin du prénom ; ils ont néanmoins plumes et chant, et leur nom d’oiseau.

Et il y a les autres. Ces oiseaux, plus mystérieux encore, qui échappent à tout indice, à toute définition, à tout nom…

Ceux-ci me font penser à ce récit, lu dans un ouvrage de Borges dont je ne me rappelle plus le titre que j’avais trouvé sur un banc dans un petit port coloré sur la côte ouest de la Suède et oublié plus tard dans un parc de Stockholm. Il s’agissait, comme souvent chez Borges, d’un récit s’appuyant sur une catégorie de sources gravitant dans la zone frontière entre histoire et mythe, collectées dans des circonstances particulières auprès de témoins aujourd’hui disparus et grappillées dans des livres rares et désormais introuvables.

Selon le récit de Borges, il y avait, dans une région d’Argentine, une sorte d’oiseau, dont l’espèce est aujourd’hui apparemment éteinte, et dont le cri, particulièrement strident aurait eu, par la puissance des vibrations engendrées, la capacité de modifier par froissement la structure des feuilles d’un arbre de la région. Il raconte avoir entendu dire qu’un taxidermiste argentin aurait caressé le rêve de fixer dans une glaise fine ou du plâtre, l’empreinte d’une ou de plusieurs de ces feuilles, dans l’espoir de capturer et conserver le cri, voire le chant, de cet oiseau mystérieux. Il est difficile de savoir si ce taxidermiste a vécu à une époque où l’oiseau existait encore ou s’il était réduit à compter sur la chance de trouver les feuilles convoitées grâce à des circonstances de conservation particulières et extraordinaires – comme l’inclusion d’une de ces feuille dans de l’ambre. Quoi qu’il en soit, les sources consultées par Borges laissent supposer, que d’une manière ou d’une autre le taxidermiste serait arrivé à ses fins. Mais, une quête en amenant une autre, le taxidermiste serait allé chercher de l’aide auprès des plus éminents musiciens de son temps pour tenter de déchiffrer l’empreinte obtenue et en tirer la matière sonore. Là, les sources divergent. Certaines, mais c’était les moins lisibles, rédigées de plus dans un style sibyllin et ambigu, semblent prétendre qu’un des savants musiciens consultés serait arrivé à restituer le chant de l’oiseau, mais que le son en était si terrible et puissant qu’il brisa et l’instrument qui le restituait et l’empreinte – on en déduira, si tout cela est vrai, la formidable constitution d’un gosier capable de produire de si dévastateurs effets. D’autres, peut-être plus crédibles, mais peut-on être certain qu’elles ne sont pas l’œuvre de falsificateurs, affirment que le taxidermiste, obsédé par sa quête, désespéré par son inaboutissement, finit par perdre la raison, mais non pas l’empreinte qui serait restée bien conservée dans un étui prévu pour lui permettre de défier le temps…

Borges reste discret sur l’origine des éléments qui lui ont permis de suivre les ramifications de toute cette histoire. Il semble en tout cas avoir été tenté de poursuivre lui-même la quête de ce chant mystérieux. Et qui sait, les moyens techniques ayant été ce qu’ils ont été à la fin du siècle dernier, il n’est pas impossible – s’il a été capable de retrouver l’empreinte en question – qu’il ait pu l’entendre encore avant de mourir.

Quant au nom de l’oiseau, je ne me rappelle pas si Borges le mentionne ; mais en tout cas, je ne m’en souviens plus…