Sera-ce le privilège de la mort d’enfin nous enseigner le calme ? (1994) pour quatuor de saxophones (durée : 12,5 min.).

Sera-ce le privilège de la mort d’enfin nous enseigner le calme ? a été créé en décembre 1994 au Teufelhof à Bâle à l’occasion du 150ème anniversaire de l’apparition du saxophone.

L’architecture de la pièce comprend deux couches indépendantes réalisées chacune par la moitié du quatuor (deux duos en opposition – superposition).

La première couche est constituée d’un ensemble de citations tirées du répertoire du saxophone. Regroupées en interventions de différentes longueurs à la texture plus ou moins dense, elles recouvrent la deuxième couche par leur opacité ou la laissent apparaître en transparence.
Le matériel de citation est présenté sous forme de superpositions de deux thèmes (chaque fois différents) empruntés l’un au répertoire classique, l’autre au jazz.

La deuxième couche est faite d’univers sonores qui me sont chers, empreints d’une simplicité et une douceur en opposition à la première couche exubérante et surchargée.
Et ce n’est pas un hasard si je donne à un instrument aussi puissant et sonore que peut l’être le saxophone un rôle tout en réserve, comme en attente; ce n’est pas pour le forcer à un jeu contre nature, mais pour mettre en évidence les qualités de finesse et de chatoiement sonore qui lui sont propres.
Quasi ininterrompue dans son écriture, cette deuxième couche voit son développement perturbé par les interventions de la première et y réagit de différentes manières (impassibilité, traits d’impatience, réponses à la provocation, participation au jeu des citations). Elle est le lieu d’une pièce indépendante qui pourrait presque être jouée séparément.

La construction en deux couches de ce quatuor est représentative d’un état de fait observé actuellement dans la production et la consommation musicale où la répétition inlassable du Répertoire couvre par saturation les tentatives de se faire entendre des musiciens d’aujourd’hui.

La pièce est interrompue en son milieu par un épisode qu’on pourrait qualifier de « bruitiste » et qui correspond à ce que souvent le public imagine être typique de la musique contemporaine. Or, loin d’être une fin en soi, le « bruitisme » marque plutôt, selon moi, une forme de désarroi du musicien contemporain dans sa recherche d’un langage nouveau ou simplement personnel.

J’ai introduit dans cette pièce des citations d’œuvres que j’ai écrites au cours de l’année 1994. Ce phénomène d’auto-citation n’a pas pour but d’être perceptible en tant que tel; c’est un signe de prise de conscience du musicien contemporain qui participe bien souvent lui-même à la cacophonie générale qu’il dénonce.

Dans l’élaboration du contenu musical de cette pièce, j’ai saisi l’occasion du 150ème anniversaire du saxophone pour parler de la cohabitation des langages musicaux dans notre culture contemporaine.
Il me semble en effet que le saxophone est un cas exemplaire de confrontation de styles puisqu’il se trouve utilisé à la fois dans la musique classique, dans le jazz et dans la musique contemporaine.
Et ce qui m’intéresse tout particulièrement, avec le saxophone, c’est sa position frontière entre musique sérieuse et musique légère qui permet d’aborder le problème de communication que connaît la musique contemporaine avec le public.
L’évolution croissante de la consommation de musique en direction du « fast-food » musical a tendance à folkloriser tous les genres qui se prêtent au jeu de l’audimat (mettant sur le même pied chanson, rap, rock, Wagner, Bach ou Vivaldi).
La musique contemporaine se trouve ainsi devant l’ingrate tâche d’assumer presque seule la responsabilité d’exiger du public une implication personnelle et un travail d’écoute.

Cette pièce est aussi, et peut-être surtout, un appel au calme.
Sera-ce le privilège de la mort d’enfin nous enseigner le calme ?