Premier livre d’incantations pour la naissance des mondes

pour quatuor à cordes

Iamque rubescebat stellis aurora fugatis *

Les actes décisifs ne sont souvent ni spectaculaires, ni remarquables, mais se cachent dans l’insignifiant ou dans l’instant d’une transition.
Le monde, que nous croyons percevoir dans sa banale continuité, n’existe pas en tant qu’entité univoque; à chaque instant, nos perceptions individuelles recréent à l’infini des mondes qui sont le fruit sans cesse renouvelé de la synthèse que nous faisons de toutes les données qui nous parviennent par nos sens et auxquelles nous tentons de donner, de trouver, une signification. Les mondes passés et à venir sont donc innombrables…
Un monde meurt, un monde naît, et on peut se demander si l’on n’est pas plus souvent dans les interstices, dans le basculement, que dans ce qu’on appelle, parce qu’il faut bien se raccrocher à quelque chose et que l’expérience nous montre que ce n’est pas tout à fait vain, la réalité.
Incantations pour appeler, susciter les passages, les passerelles, célébrer la possibilité d’un lien entre les bribes. Incantations pour profiter du pouvoir que possède la musique de suspendre le temps parce que tout en y étant soumise, elle intervient à sa guise sur sa qualité, sur sa forme, et se superposant à lui, le remplace, l’assujettit à elle pour un moment…

Déjà l’aurore rougeoyait, chassant les étoiles… *

…et j’espère que ce monde qui est mien a quelques herbes sèches en commun avec le vôtre.

François Mützenberg

* Virgile, Enéide, Livre III, v. 521