« Ah petite brunette, ah tu me fais mourir ! »

Les Brunettes sont, à l’origine, de courtes pièces vocales, véritables petits bijoux en chansons, mêlant thématique amoureuse et champêtre dans un style qui mime la simplicité populaire. Christophe Ballard explique la provenance de cette appellation dans l’avertissement de son premier tome de Brunetes meslées de chansons à danser publié en 1703 :

« Il y a peu de Recüeils qui doivent être reçûs plus agreablement que celuy-cy, si l’on en juge par l’empressement avec lequel il est attendu du Public. Les Airs dont il est composé ont été appellés BRUNETES par rapport à celuy qui commence, Le beau Berger Tircis, & qui finit par ces paroles : “Ah ! petite Brunete, Ah ! tu me fais mourir !” Une preuve de la bonté de ces Airs, c’est que malgré leur ancienneté, on ne laisse pas de les apprendre & de les chanter encore tous les jours ; ceux même qui possedent la Musique dans toute son étendûë, se font un plaisir d’y goûter ce caractere Tendre, Aisé, Naturel, qui flatte toûjours, sans lasser jamais, & qui va beaucoup plus au coeur qu’à l’esprit. »

La vogue que connurent ces chansons poussa des flûtistes comme Hotteterre, Montéclair ou Blavet à en publier des recueils destinés aux instrumentistes. Montéclair s’en explique dans la préface de son premier recueil, Brunetes Anciènes et Modernes Apropriées à la Flûte Traversière, publié en 1734 :

« Il y a longtemps que plusieurs Amateurs de la flûte Traversière, flûte à bec, Dessus de Violle et de Violon desirent un Recueil de ces petits Airs, que l’on connoit sous le nom de BRUNETTES, dont les chants naïfs, tendres et naturels les ont toujours soutenus malgré les atteintes, si souvent réitérées, de ces pretendus savants qui ne trouvent rien de beau que ce qui les etonne et dont le gout usé ne peut estre piqué que par des chants detournés, par une modulation dure, par des transpositions forcées, par des dissonnances continuelles et entassées les unes sur les autres et enfin par des mouvements, des fugues et des dessins confus dans lesquels l’oreille seine ne peut recevoir aucun plaisir. […] Les François peuvent se vanter, a juste titre, d’estre les seuls qui possedent le veritable gout de ces petittes pieces que les autres nations nomment, BAGATELLES, par ce qu’ils sont accoutumés a des pieces souvent trop composées, et qu’ils ne peuvent absolument joüer celles-cy dont le gout simple et onctueux leur est inconnu; […]. »

Prenant la suite de Montéclair, j’ai choisi de consacrer l’essentiel de ce programme dédié à la musique française à ces brunettes dont le genre peut à juste titre en être considéré comme un archétype. Il allie en effet le goût pour une simplicité naturelle avec l’inclination pour l’allusion champêtre et conserve, grâce à la référence aux textes de la version vocale d’origine, une articulation et une organisation des motifs mélodiques typiques de la langue française. Le tableau de la musique française de cette époque ne serait néanmoins pas complet sans quelques pièces tirées du répertoire de la Belle Dance. J’y ai ajouté, tirés d’une tablature pour la musette, quelques airs qui me semblent stylistiquement à mi-chemin entre musique champêtre savante et musique populaire villageoise. Ces airs sont peut-être un témoignage du matériau brut dont ont pu s’inspirer les compositeurs de la Cour pour leurs stylisations campagnardes, et participent à démontrer que culture populaire et culture savante ne sont pas si éloignées qu’il y paraît parfois…