Les pieds de ma voisine

 

Hier soir, dans le train entre Lausanne et Genève, discutaient dans le compartiment d’à côté une fille et un gars (la « voisine » est donc une voisine occasionnelle). Ils parlaient des endroits à Genève où l’on peut aller danser en soirée et la fille avait l’air assez exigeante quant à la qualité des partenaires de danse qu’elle était susceptible d’agréer.

J’ai compris assez vite qu’elle pratiquait une danse sociale de couple pour laquelle elle pensait qu’il était préférable de prendre des cours et petit à petit qu’il s’agissait de salsa. Là où c’est devenu intéressant, c’est quand elle a parlé de son niveau.

Elle disait qu’au début, elle devait vraiment réfléchir à ce qu’elle devait faire avec ses pieds par rapport à la musique (par exemple déjà identifier si c’était merengue ou salsa pour appliquer les bons pas à la bonne musique); mais que maintenant c’était devenu complètement automatique : ses pieds savaient quoi faire sans qu’elle doive passer par l’intellect. Au point que récemment, pendant qu’elle dansait, elle s’est dit : pourquoi mes pieds dansent le merengue alors que c’est une salsa ? », avant de réaliser qu’en fait, ce n’était pas une salsa, mais bien un merengue, et que ses pieds avaient donc été plus intelligents que son cerveau (si on veut bien me passer l’expression qui démontre par la même occasion qu’en ce qui concerne la danse, « bête comme ses pieds » est une formule qui ne tient pas debout !!!). Elle a donc expérimenté, mais aussi explicité verbalement, ce que Karen Nioche a par exemple observé à propos des danses traditionnelles bretonnes : dans le domaine de la pratique corporelle, il y a des forces cognitives qui ne font pas le détour par l’intellect et qui ont leur propre réseau de mise en œuvre.